Crise en Ukraine : il “n’est pas sûr que la guerre prenne tout de suite une forme d’agression directe”, estime une spécialiste de la Russie

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Sabine Dullin, professeure en histoire contemporaine à Sciences Po spécialiste de la Russie, estime ce mercredi après-midi sur franceinfo qu'”il n’est pas sûr que la guerre prenne tout de suite une forme d’agression directe” par la Russie en Ukraine.

franceinfo : L’armée ukrainienne est seule face à la russe ?

Sabine Dullin : Oui. Les Ukrainiens ont entendu ce qu’a dit Poutine et l’ont considéré comme une déclaration de guerre, puisqu’il a nié l’existence d’un véritable État ukrainien qui avait raison d’exister. Forcément, la réaction, c’est une mobilisation, une forme d’union sacrée pour essayer de construire la défense contre les Russes. Alors, évidemment, de l’autre côté, il n’est pas sûr que la guerre prenne tout de suite une forme d’agression directe. Très souvent, les Russes et les Soviétiques au 20e siècle ont eu tendance à développer des formes de guerre un peu floues, où on grignote petit à petit en partant justement de républiques fantoches qui, tout d’un coup, vous demandent d’intervenir. Dans un premier temps, il est possible que la réaction russe soit surtout une action qui vise à élargir les frontières de ces républiques fantoches à l’ensemble des provinces de Lougansk et Donetsk. Ce n’est pas sûr du tout que la grande agression russe ait lieu immédiatement et elle peut prendre d’autres formes. Il est possible que la forte mobilisation ukrainienne ait aussi pour stratégie de faire hésiter les Russes. Il n’y a, les Russes le savent, aucun engagement de la part des Occidentaux de venir seconder l’armée ukrainienne sur le terrain. En revanche, il y a effectivement une exportation vers l’Ukraine d’armements de la part de l’Occident et des Turcs, et tout cela peut évidemment faire un peu hésiter [la Russie].

Vladimir Poutine hésite-t-il à aller plus loin selon vous ?

Vladimir Poutine a un objectif en tête qui est de restaurer en partie l’ancienne Union soviétique. Mais en terme de timing, de moyens de le faire, il y a évidemment différentes solutions. On sait combien les Ukrainiens et les Russes sont des peuples qui ont une histoire très proche. Il y a des familles en commun des deux côtés. Lancer une grande guerre contre l’Ukraine, c’est quand même beaucoup de risques. On est dans une préparation de guerre avec des rappels de concitoyens et de diplomates de part et d’autre. Il y a un vrai patriotisme en Ukraine, une volonté de résister, avec une nation beaucoup plus soudée qu’il y a vingt ans dans le pays. Il y a aussi peut-être une tentative de démontrer que l’on ne se laissera pas faire, ça peut faire un tout petit peu hésiter le camp d’en face. Ce n’est pas sûr, en revanche, que les sanctions économiques soient très dissuasives pour le gouvernement de Poutine.

La société russe se range-t-elle derrière Vladimir Poutine ?

On comprend bien que les habitants des républiques de Donetsk et de Lougansk, qui vivent depuis 8 ans dans une sorte de guerre larvée, sont plutôt contents de cette intervention russe car ils ont l’impression d’être mieux protégés. On a sans doute de l’autre côté de la frontière la même idée, mais on peut penser qu’il y a peut-être dans les villes russes une forme de lassitude. L’annexion de la Crimée avait montré une sorte d’élan patriotique complet, parce que la Crimée n’avait jamais été considérée comme véritablement ukrainienne du point de vue russe. Certes, l’Ukraine est considérée comme la sœur de la Russie, mais de là à faire la guerre à des frères, il y a une marge très grande. Frenceinfo